La petite musique du temps qui passe le ramène vers d'anciennes images. Un village, une enfance. Les images crissent, viennent et repartent. Il s'immerge dans ces détails. Le portail, l'allée, une porte, une deuxième, puis la cuisine avec ses table, chaises, buffet et bibelots sur l'étagère. à l'étage, les chambres. Le plancher qui craque, fait entendre à nouveau le bruit des pas des croque-morts qui emportaient le cercueil, et le son lugubre des poignées de métal qui disaient le corps lourd du mort, et l'étroitesse de l'escalier à descendre. L'enfant dans la chambre, qui ne dort pas, et pour qui ces cliquetis seront désormais ceux de la mort qui passe.
En apparence rien n'a changé. Des odeurs reviennent. La cave, et cette terre humide qui laisse des traces noires comme de la suie sur les doigts qui frôlent sa surface croûtée. Tréfonds d'un monde qui fait peur. L'enfant hésite. Descendre les marches de pierre, c'est comme avancer dans la nuit. Fantômes linceuls, débris de peurs, battements de coeurs, accélérations, le malaise grandit, paralyse, fourmis dans les reins, la nuque, les mâchoires. Il croit entendre des voix. L'angoisse serre le petit corps, cogne dur, remonter en vitesse. De derrière la lourde porte en bois, le noir entre dans la vie de l'enfant, comme par asphyxie.
Cette cave, mais une autre encore. Celle du curé du village, là-haut sur la colline près de l'église. La cure et cette vieille femme comme une sorcière de noir vêtue. Elle veut l'enfermer au fond de ce grand trou sombre - ta mère ne te retrouvera jamais. Elle l'entraîne vers le gouffre, lui décollant l'oreille du bout de ce morceau de cuir noir, qui tient fixé par une cordelette croisée autour de sa main, enfermant un doigt de la vieille, qui s'avance comme une menace au-dessus de sa tête. Elle est dangereusement laide, avec cette haine qui lui tord le visage. L'enfant est pétrifié.
La vieille finit par le laisser partir. Il rejoint les autres dans la cours de l'école, s'assoit sur les marches, comme sur le rebord d'un précipice, épouvanté à l'idée d'être enfermé dans ce trou noir. Désormais, la nuit aura pour lui, le goût terrible du vertige.