C'était un été chaud, très chaud même, à ne pas mettre un mort dehors, et pourtant !!
Cela faisait plusieurs semaines que le soleil cognait sans aucun ménagement. Au village, et de mémoire de paysan, il y avait longtemps que l'on n'avait pas revu une chaleur pareille, à croire que le temps se déréglait, que la terre tournait boussole.
Le père Chantort, vivait dans une maison que l'on disait hantée. Certains conféraient au vieux des pouvoirs surnaturels. On allait jusqu'à prononcer le mot de sorcier. Des histoires circulaient sur son compte. On disait de lui, qu'il pouvait déplacer les objets, qu'il était capable de vous jeter un sort. Certains avaient vu des choses. Des fourchettes, des couteaux et des assiettes, qui traversaient la cuisine pour venir s'écraser contre les murs. Les enfants avaient peur du vieux. La seule fois où certains d'entre eux virent quelque chose, ce fut lors de son enterrement, pendant cet été chaud, très chaud même...
Cela se passa à la sortie de l'église. Quatre pompiers du village en tenue officielle, comme cela se faisait encore, transportaient le cercueil du père Chantort, direction le cimetière. Jusque-là tout s'était déroulé normalement. Le curé avait assuré son office avec sa monotonie habituelle, les mains toujours aussi tremblantes. Dans le calice, jamais d'eau, que du vin pur, le sang du christ n'était pas coupé, la liturgie pas respectée, mais seuls les enfants de choeur connaissaient la vérité, et aucun d'eux n'avait jamais rien dit.
à bout d'épaules, le cercueil entama sa lente progression. L'allée centrale de l'église, le parvis en pierre, l'escalier, puis le sentier. La chaleur étouffante s'empara de tous. Ils se mirent à suer à grosses gouttes. Les pompiers surtout. Ils finirent par regretter que le père Chantort, ne soit pas mort l'hiver dernier ou le prochain, même si le trou aurait été plus dur à creuser à cause du gel. Là, on crevait, avec ce soleil qui vous grillait la peau, vous donnant comme un avant-goût de l'enfer.
Ils finissaient par le maudire le père Chantort, un peu trop même. Le cortège n'était pas encore arrivé au cimetière, que des choses étranges se passèrent. Tout commença par une odeur âcre et nauséabonde, qui s'infiltra dans les narines. Les pompiers blêmirent. Ils n'allaient plus tenir très longtemps. Soudain un jus sombre dégoulina le long de la caisse en bois, tachant le drap noir qui la recouvrait. L'odeur était insoutenable. Les pompiers abandonnèrent le cercueil et son mort sur le chemin. Tout le monde s'éloigna. La crainte se lisait sur les visages. Encore un coup du père Chantort, son dernier, mais bon dieu comme ça puait !! Si ça continuait à couler de la sorte, on allait devoir éponger le mort.
Les pompiers furent les premiers à se ressaisir. On ne pouvait quand même pas laisser un mort en plein milieu du chemin, c'était pas chrétien, même pour un sorcier. Ils empoignèrent de nouveau le cercueil, et retenant leur respiration, se remirent en route, suivis par tous les autres. On assista à l'enterrement le plus rapide que le village ait jamais connu. Tous virent avec contentement la dernière pelletée de terre recouvrir le cercueil et son odeur pestilentielle.
Que s'était-il passé ? Certainement que le mort avait fermenté à cause de la chaleur. Pourtant on ne pouvait s'empâcher de trouver que tout cela n'était pas normal. Cette journée, cette chaleur, cet été, ne l'étaient plus. Tous se demandèrent, si désormais on pourrait considérer les prochaines morts, comme des morts naturelles. Rien n'était moins sûr.